Tout le monde raisonnait sur cette aventure étrange, et s’épuisait en vaines conjectures. Comment le fils d’un berger peut-il donner quarante gros diamants ? Pourquoi est-il monté sur une licorne ? On s’y perdait ; et Formosante, en caressant son oiseau, était plongée dans une rêverie profonde.
La princesse Aldée, sa cousine issue de germain, très-bien faite, et presque aussi belle que Formosante, lui dit : « Ma cousine, je ne sais pas si ce jeune demi-dieu est le fils d’un berger ; mais il me semble qu’il a rempli toutes les conditions attachées à votre mariage. Il a bandé l’arc de Nembrod, il a vaincu le lion, il a beaucoup d’esprit puisqu’il a fait pour vous un assez joli impromptu. Après les quarante énormes diamants qu’il vous a donnés, vous ne pouvez nier qu’il ne soit le plus généreux des hommes. Il possédait dans son oiseau ce qu’il y a de plus rare sur la terre. Sa vertu n’a point d’égale, puisque, pouvant demeurer auprès de vous, il est parti sans délibérer dès qu’il a su que son père était malade. L’oracle est accompli dans tous ses points, excepté dans celui qui exige qu’il terrasse ses rivaux ; mais il a fait plus, il a sauvé la vie du seul concurrent qu’il pouvait craindre ; et, quand il s’agira de battre les deux autres, je crois que vous ne doutez pas qu’il n’en vienne à bout aisément.
— Tout ce que vous dites est bien vrai, répondit Formosante ; mais est-il possible que le plus grand des hommes, et peut-être même le plus aimable, soit le fils d’un berger ? »
La dame d’honneur, se mêlant de la conversation, dit que très-souvent ce mot de berger était appliqué aux rois ; qu’on les appelait bergers, parce qu’ils tondent de fort près leur troupeau ; que c’était sans doute une mauvaise plaisanterie de son valet ; que ce jeune héros n’était venu si mal accompagné que pour faire voir combien son seul mérite était au-dessus du faste des rois, et pour ne devoir Formosante qu’à lui-même. La princesse ne répondit qu’en donnant à son oiseau mille tendres baisers.
On préparait cependant un grand festin pour les trois rois et pour tous les princes qui étaient venus à la fête. La fille et la nièce du roi devaient en faire les honneurs. On portait chez les rois des présents dignes de la magnificence de Babylone. Bélus, en attendant qu’on servît, assembla son conseil sur le mariage de la belle Formosante ; et voici comme il parla en grand politique :
« Je suis vieux, je ne sais plus que faire, ni à qui donner ma fille. Celui qui la méritait n’est qu’un vil berger, le roi des Indes et celui d’Égypte sont des poltrons ; le roi des Scythes me conviendrait assez, mais il n’a rempli aucune des conditions imposées. Je vais encore consulter l’oracle. En attendant, délibérez, et nous conclurons suivant ce que l’oracle aura dit : car un roi ne doit se conduire que par l’ordre exprès des dieux immortels. »
Alors il va dans sa chapelle ; l’oracle lui répond en peu de mots, suivant sa coutume : « Ta fille ne sera mariée que quand elle aura couru le monde. » Bélus, étonné, revient au conseil, et rapporte cette réponse.
Tous les ministres avaient un profond respect pour les oracles ; tous convenaient ou feignaient de convenir qu’ils étaient le fondement de la religion ; que la raison doit se taire devant eux ; que c’est par eux que les rois règnent sur les peuples, et les mages sur les rois ; que sans les oracles il n’y aurait ni vertu ni repos sur la terre. Enfin, après avoir témoigné la plus profonde vénération pour eux, presque tous conclurent que celui-ci était impertinent, qu’il ne fallait pas lui obéir ; que rien n’était plus indécent pour une fille, et surtout pour celle du grand roi de Babylone, que d’aller courir sans savoir où ; que c’était le vrai moyen de n’être point mariée, ou de faire un mariage clandestin, honteux et ridicule ; qu’en un mot cet oracle n’avait pas le sens commun.
Le plus jeune des ministres, nommé Onadase, qui avait plus d’esprit qu’eux, dit que l’oracle entendait sans doute quelque pèlerinage de dévotion, et qu’il s’offrait à être le conducteur de la princesse. Le conseil revint à son avis ; mais chacun voulut servir d’écuyer. Le roi décida que la princesse pourrait aller à trois cents parasanges sur le chemin de l’Arabie, à un temple dont le saint avait la réputation de procurer d’heureux mariages aux filles, et que ce serait le doyen du conseil qui l’accompagnerait. Après cette décision on alla souper.
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